La reconnaissance du génocide des Arméniens :

un arbre qui cache la forêt ?

Nous pouvons considérer que cette date du 24 avril 2021 marque un tournant crucial dans l’histoire arménienne avec la reconnaissance par le Président des États-Unis du génocide des Arméniens, déclaration qui suscita immédiatement le courroux de la Turquie en la personne de Recep Tayip Erdogan. Quels enseignements devons-nous tirer de cette prise de position ? Tout d’abord, bien que cet événement soit majeur, il arrive cependant très longtemps après la première reconnaissance du génocide par un pays tiers, celle de l’Uruguay en 1965 et vingt ans après celle de la France. Pourquoi aura-t-il fallu plus de 100 ans pour que cette déclaration soit faite ?

Cette initiative forte du Président américain est-elle d’une importance si colossale ? Nous serions tentés de répondre par l’affirmative parce que la Turquie est membre de l’OTAN et donc directement affiliée aux États-Unis. Seulement en quoi ces reconnaissances successives sont-elles primordiales pour arriver à terme à faire reconnaître par la Turquie la réalité de ce génocide trop longtemps nié ? En France, la loi de 2001 reconnaissant « officiellement le génocide arménien » fut votée après de longs atermoiements, et ce n’est qu’au prix d’une implication massive des partis politiques et des syndicats français que l’adoption de cette loi fut effective. Il faut rappeler que l’association MAFP fut l’une des premières, pour ne pas dire une des seules au départ, à réclamer que les partis politiques soient impliqués dans ce processus de reconnaissance contrairement à certains leaders arméniens qui s’obstinaient à dire que la question arménienne devait être réglée par les seules forces arméniennes.

Force est de constater que s’entêter à s’enfermer dans sa propre coquille en ne voulant pas s’intégrer dans les structures politiques, administratives et sociales des pays dans lesquels nous sommes citoyens, nous relègue à des positions de faiblesse et de quémandeurs. N’aurions-nous pas obtenu plus tôt ces reconnaissances de pays tiers si nous avions été plus puissants ? N’aurions-nous pas obtenu une aide massive pour l’Arménie lors de la guerre d’Artsakh, si nous avions été des partenaires incontournables ? La faiblesse de l’Arménie réside dans la faiblesse de sa diaspora, nous ne sommes qu’une minorité larmoyante se posant en victime, alors que nous devrions être des combattants prêts à exiger de la part des gouvernants des pays tiers des actes et non des paroles, des soutiens réels au lieu de pseudo marques d’amitié. Il faut maintenant aller au-delà des déclarations d’intention, des aides humanitaires, qui sont certes nécessaires mais masquent le plus important : le respect des Droits de l’homme.

Aucune de ces belles annonces ne sont coercitives pour la Turquie et l’Azerbaïdjan qui perpétuent un génocide commencé en 1915. Il ne faudrait donc pas que cette parole forte des États-Unis occulte le plus important aujourd’hui, à savoir traduire en justice les criminels de guerre turc et azerbaïdjanais en les personnes d’Erdogan et Aliev pour les crimes contre l’humanité commis en Artsakh entre septembre et novembre 2020. Il ne faudrait pas oublier, qu’au mépris des règles internationales, les prisonniers de guerre arméniens croupissent toujours dans les geôles de Bakou.

Certes, les Arméniens sont heureux et soulagés par la prise de position de Joe Biden mais ils attendent encore celles d’Israël et du Royaume-Uni, deux états qui soutiennent et financent l’armement de Bakou et d’Ankara.

Nersès Durman-Arabyan

La France reconnait le génocide des Arméniens

À l’occasion du 20ème anniversaire de la reconnaissance par la France du Génocide des Arméniens, Ara Toranian co-président du CCAF avait interviewé Alexis Govciyan, ancien président du Comité 24 avril 1915 et du CCAF.

Lors de cette interview à la fois claire et précise, nous tenons néanmoins à rappeler un fait que d’aucun semble vouloir occulter.

Lors du premier vote de l’Assemblée Nationale, lorsque le texte de la loi est arrivé au Sénat, il n’a pas été voté par les sénateurs. Suite au refus de la Haute Assemblée, une réunion extraordinaire du Comité 24 avril a été décidée pour statuer sur les dispositions à prendre. Toutes les composantes du comité étaient présentes au Yan’s club et chaque association exprimait son avis et son ressenti.

Ce jour-là, l’association MAFP déclara que, tant que la question du génocide sera enfermée dans une coquille arméno-arménienne, il ne faudrait se faire aucune illusion quant à la reconnaissance du génocide par la France. Et d’ajouter que le seul moyen de faire aboutir ce projet de loi était d’impliquer les partis politiques et les syndicats.

Cette proposition reçut l’aval de l’ensemble des associations présentes et du président du C24, seule la FRA en la personne de Mourad Papazian s’y opposa arguant du fait que cette reconnaissance du génocide était une affaire arméno-arménienne.

Force est de constater que l’association MAFP qui a contacté tous les partis politiques et les syndicats avait eu raison de proposer cette solution puisque la loi fut finalement votée. Force est de constater aussi malheureusement que les personnes qui détiennent le pouvoir peuvent réécrire l’histoire et jeter dans l’oubli celles qui ont eu l’initiative du projet.

Nersès Durman-Arabyan
Président
Paris – 29/01/2021

24 AVRIL 1915 GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS

LA RECONNAISSANCE ET UNE JUSTICE ÉQUITABLE POUR NOS MORTS

L’existence des Arméniens est avérée dès 721 avant Jésus Christ avec le royaume d’Ourartou. A son apogée, en 70 avant Jésus Christ, le royaume d’Arménie s’étendait jusqu’au royaume de Judée. Pendant des siècles, les royaumes d’Arménie, ou les principautés arméniennes coexistèrent aux côtés des grands empires romain, parthe ou perse. Dès l’an 301, l’Arménie avait opté pour le christianisme comme religion d’État. Dans le tumulte des guerres régionales, elle fut envahie par les Perses, les Mamelouks, les Russes et les Turcs. Ce n’est qu’au 12ème siècle que les Turcs regroupés en deux tribus « Ak koyunlular » les Moutons Blancs et « Kara Koyunlular » les Moutons Noirs venant d’Asie Centrale firent leur apparition en Anatolie. Au fil des conquêtes, ils déployèrent leur mainmise sur trois continents, l’Europe, l’Asie et le nord de l’Afrique, qu’ils érigèrent en Empire Ottoman sur plus de 2 millions de Km².

En 1915, durant la Grande Guerre qui opposait l’Allemagne, l’Empire austro-hongrois et leur allié l’Empire Ottoman à la Russie, l’Angleterre et la France, le gouvernement Jeune Turc décida d’ arrêter, de spolier, d’ exécuter les notables arméniens de Constantinople puis de déporter les Arméniens d’Anatolie vers les camps de concentration de Syrie .

Le 25 octobre 1917, la révolution bolchevique éclata en Russie sous l’impulsion de Lénine. Le tsar destitué, le régime passait sous l’autorité du parti communiste. Suite à ces bouleversements, les soldats russes qui occupaient le Caucase et une partie de l’Arménie orientale regagnèrent leurs foyers, sans prendre leurs armes. Cela permit aux Turcs de récupérer tout le matériel militaire laissé sur place par leurs ennemis.

Avançant progressivement, l’armée turque récupérait les terres arméniennes délaissées par les Russes. Dans ses mémoires, le général turc Kâzim Karabekir écrivit que, dans chaque village arménien traversé et abandonné par ses habitants, ses soldats trouvaient des vivres en quantité abondantes et pouvaient se reposer dans les maisons. Il avoua que, sans cela, son armée n’aurait pu faire un pas de plus.

Après l’armistice, la première République d’Arménie fut créée le 28 mai 1918 avec la bénédiction des Turcs, de l’Europe et des États-Unis.

Dans son livre de La République d’Arménie édité en 1928, Simon Vratsyan rapportait entre autres que : « D’Erevan (capitale de l’Arménie), les canons turcs étaient visibles. L’Arménie était devenue exsangue ; la moitié de la population était composée de rescapés des massacres. »

Le 29 novembre 1920, l’Arménie rentrait dans le giron Soviétique.

Pendant 70 ans, les Arméniens connurent un âge d’or, malgré les atrocités du régime stalinien. Après l’implosion de l’URSS, la République d’Arménie fut constituée, le 21 septembre 1991.

A ce jour, une trentaine de pays au Monde a reconnu le Génocide des Arméniens mais la Turquie continue à nier cette vérité historique.

À l’époque, si les Turcs avaient agi intelligemment après l’éclatement de l’Empire Ottoman, débarrassés de leur nationalisme dévastateur pour mettre en œuvre un État Fédéral composé de Turcs, d’Arméniens, de Kurdes, de Grecs et de Juifs, l’Anatolie serait devenue un paradis au Moyen Orient. Il aurait largement dépassé la Suisse.

Les peuples du Monde doivent comprendre que leurs différends ne peuvent se régler par des guerres. C’est en générant les liens directs et solides, et par de franches discussions que les problèmes seront à jamais résolus.

Nersès Durman-Arabyan
Antony – 8 mai 2020

Ignorance ou Marchandage du Génocide des Arméniens

Le 30 mai 2018, la Knesset (Parlement israélien) allait examiner la question de la reconnaissance du génocide des Arméniens.

Raphaël Lemkin
Raphaël Lemkin

Cependant, le rapporteur de la proposition Yuli-Yoel Edelstein n’avait pas inscrit cette question à l’ordre du jour arguant du fait que le vote des parlementaires ne rassemblerait pas une majorité suffisante pour son adoption.

Si malheureusement la crainte de ce rapporteur correspond à la réalité, il est douloureux d’admettre que des députés israéliens porteurs de la mémoire de la Shoah puissent ignorer l’existence du génocide des Arméniens.

La civilisation arménienne perdure depuis des millénaires. Cependant, durant des années, le peuple arménien a dû faire face à des attaques constantes bien qu’il fut toujours considéré comme une « nation fidèle » rendant d’immenses services aux autres pays ce qu’attestent de nombreuses archives historiques.

Le 24 avril 1915, à Constantinople, le gouvernement turc a minutieusement préparé la déportation et le massacre de plusieurs centaines d’intellectuels et de notables arméniens puis a poursuivi son action dévastatrice en Arménie occidentale en exterminant 1,5 millions d’hommes, de femmes et d’enfants.

Si le crime de génocide perpétré contre les Arméniens en 1915 avait été condamné de façon exemplaire par la justice internationale, jamais le peuple juif aurait été victime de l’extermination nazie lors de la seconde guerre mondiale.

Le 22 octobre 1939, Hitler n’aurait-il pas dit devant ses officiers : « Qui donc se souvient encore du massacre des Arméniens ? »

En 1944, la notion de génocide fut créée par le juriste juif polonais Raphaël Lemkin, en prenant pour exemple le génocide des Arméniens.

La question de la reconnaissance du génocide des Arméniens a souvent été la source d’un odieux marchandage dans les relations interétatiques avec la Turquie. Malheureusement, force est de constater que les nations dites civilisées recourent systématiquement à ce stratagème pour bénéficier de contrats juteux.

Le Génocide est la douleur lancinante du peuple arménien dont il souffre depuis plus d’un siècle. La non-reconnaissance et la négation du génocide des Arméniens exaspèrent et répugnent les jeunes arméniens descendants des rescapés du génocide. Certains esprits ignorants plongés dans les ténèbres devraient s’éclairer grâce aux témoignages des rescapés du génocide et des documents transmis par les chercheurs et les historiens internationaux.

L’Arménien doit faire preuve de patience dans un esprit unitaire pour déjouer les pièges tendus par ses adversaires.

Nersès Durman-Arabyan
Paris le 31 mai 2018